Se mettre à nu sur scène, enlever son masque au travers divers personnages, exploser les barrières, libérer les paroles, retranscrire les réalités, font partie des effets positifs que le théâtre exerce sur l’humain. L’entreprise ThéâtriCité met en avant ces atouts pour faire avancer des débats de société et aider les personnes en difficultés tout en rendant la culture théâtrale accessible à tous.
« Le théâtre est une quête intérieure, qui provoque des choses en chacun. » C’est de cette façon que Jean-Baptiste Sintes, créateur de ThéâtriCité aime définir cet art. Son entreprise, née à Lyon, a pour vocation de rendre le théâtre accessible à tous, de le sortir des préjugés, mais surtout et essentiellement, d’améliorer le bien-être. C’est après une tournée en Rhône-Alpes en 2017 où villages isolés, Ehpads et cités ont été parcourus, que l’idée de mettre le théâtre au service des autres lui est venue. « On a vu de l’émerveillement dans les yeux des gens. Ce sont eux qui nous ont ouvert les yeux sur le potentiel de cet art, eux qui nous ont donné l’envie d’aller dans des territoires isolés à la rencontre des gens, eux qui nous ont donné l’envie de faire du théâtre porteur de sens », explique Jean Baptiste Sintes, qui s’est servi de son parcours en sciences politiques et de son apprentissage aux cours Florent pour mettre le théâtre au service de la société.
Leur champ d’action est vaste, les bénéfices qu’ils apportent sont réels. Le théâtre apparait ici comme une forme de thérapie, et selon les lieux et les personnes auprès desquels ils interviennent, leurs méthodes, leurs objectifs et les bienfaits diffèrent. ThéâtriCité intervient ainsi pour sensibiliser aux handicaps, au sexisme, au harcèlement, à tous les problèmes sociaux qui gangrènent la société, ou encore pour désamorcer des conflits dans une entreprise. Grâce au théâtre forum et aux scènettes de quelques minutes où des comédiens jouent une situation de conflit, une discussion entre public et metteur en scène s’installe rapidement. Ces méthodes permettent de dialoguer de façon dédramatisante de sujets lourds et difficiles, d’exacerber les tensions et de passer un grand moment de réflexion.
« On est intervenu à Grand Lyon Habitat pour sensibiliser aux handicaps invisibles, pas forcements détectables, pas facilement avouables. On a tourné dans tous les étages du siège et dans chaque filiale lyonnaise. Les personnages sont fictifs, les paroles plus libres. J’ai un souvenir très fort d’une scène qui a débloqué la parole chez certaines personnes atteintes de difficultés. Je nous considère comme de petits jardiniers qui plantent des petites graines grâce à un outil très puissant, où deux minutes sont plus impactantes qu’un long discours », confie Lara Pichet, l’une des comédiennes professionnelle et co-fondatrice de ThéâtriCité.
Surmonter les difficultés
Leur plus grand chantier reste les interventions dans des zones délaissées, isolées, où les populations sont dévalorisées à l’image d’Ambérieu-en-Bugey, dans l’Ain, où un atelier est mis en place depuis deux ans en collaboration avec le centre social du Lavoir. Chaque année, ThéâtriCité revisite un classique du théâtre allant de Macbeth à Roméo et Juliette avec des habitants volontaires regroupant une dizaine d’Ambarrois, accompagnés d’un formateur, comédien professionnel. Chaque jeudi, pendant trois heures, ils se retrouvent et répètent pour se préparer à la représentation finale. Chacun des participants surmonte des difficultés quotidiennes. Il y a parmi eux, des personnes aux trajectoires de vies liées aux addictions, des personnes avec des problèmes psychiques, des gens avec des difficultés médicales importantes, d’autres qui se déplacent en déambulateur ou en fauteuil roulant. Le théâtre a profondément changé certains…
Christiane Perrot, interprète du rôle principal du roi Macbeth, fait partie de ces personnes grandies par cette expérience. Après avoir vu son ancienne maison brûler, après avoir subi une lourde opération la diminuant physiquement pour le restant de sa vie, ThéâtriCité l’a sortie d’un quotidien dicté par la solitude et la dépression. « Pendant les ateliers, j’étais plus heureuse, je riais, puis je me pouponnais, je me mettais des boucles d’oreilles. Le fait de jouer faisait disparaitre la douleur, le fait de penser au texte, au spectateur nous fait oublier nos problèmes. Quand je suis sur scène je suis quelqu’un d’autre, je n’aime pas ce que je suis et être une autre personne me plait », témoigne-t-elle, larme nostalgique à l’œil.
« Le théâtre relève de l’ordre du magique »
Le directeur du centre social du Lavoir, organisateur de ces ateliers se satisfait tout particulièrement des conséquences les habitants. Lui qui vit au quotidien à leurs côtés, se rend compte de l’importance de leur évolution : « Le théâtre a vraiment quelque chose de l’ordre du magique, dans le sens ou en endossant un rôle ça nous permet d’exister autrement et on se découvre vraiment comme on pourrait être. Un des participants qui a la phobie gens, de l’espace, du toucher, vient maintenant régulièrement au centre social pour se poser et discuter avec les autres. Je me dis que cette personne aujourd’hui est en relation, c’est tout gagné. A la fin de la représentation j’ai pris le temps d’aller le féliciter lui, tout particulièrement, pour lui dire qu’il était sublime sur scène, que la représentation était particulièrement belle. »
Au-delà même du service que rend le théâtre aux participants, les comédiens d’un temps et leur environnement embellissent et personnalisent les grands classiques du théâtre. Les revisiter en s’adaptant aux difficultés de chacun, à leur langage, à leur univers, à leur quartier, favorise la créativité et déconstruit le mythe d’un divertissement élitiste pour rendre la pièce sincère en adéquation avec la réalité et l’actualité.