Convention Citoyenne : « Pourquoi j’ai boycotté la réunion du projet de loi »

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    Changement de ton d’Emmanuel Macron, propositions rejetées ou édulcorées, poids des lobbies… L’issue de la Convention Citoyenne provoque colère et frustration chez les 150 citoyens qui ont travaillé intensément pendant neuf mois sur des mesures concrètes pour enrayer le réchauffement climatique. Dans une ambiance tendue, Grégory Oliveira Dos Santos, électricien de 37 ans tiré au sort, raconte ses déceptions mais aussi ses espoirs. 

    Ce lundi 7 et mardi 8 décembre 2020 s’est tenue une réunion de travail au sein du Ministère de la Transition écologique et solidaire où le gouvernement a annoncé les premiers contours du projet de loi tirée de la Convention Citoyenne. Vous avez pourtant décidé de boycotter cette rencontre. Pour quelles raisons ? 

    Vous savez, pendant neuf mois, on s’est tous donnés à fond. C’était une course quotidienne pour gérer à la fois son boulot, sa vie de famille et la Convention Citoyenne pour le Climat. (CCC). Je passais entre 3 à 7h par jour sur la CCC en bossant parfois pendant mes pauses déjeuners, en me couchant à 2h du matin pour finir de lire des articles scientifiques, à traduire des textes de l’anglais au français. Chacun a donné de son temps pour aller rencontrer de nombreux acteurs de nos communes, rendre compte des problématiques spécifiques de chaque région y compris les territoires d’Outre-Mer. On a travaillé de manière acharnée, on y a vraiment cru. 

    Aujourd’hui je suis très déçu et agacé du changement de posture des membres du gouvernement qui nous encourageaient et nous félicitaient tous au début. En juin, Emmanuel Macron scandait fièrement de transmettre “sans filtre” aux parlementaires 146 de nos propositions sur 150 pour ensuite poser une dizaine de “jokers” dans les mois suivants. Dans son intervention pour le média en ligne Brut il ajoutait que « ce n’est pas parce que les 150 citoyens ont écrit un truc, que c’est la Bible ou le Coran » . Je n’ai jamais eu l’intention d’écrire la Bible, Monsieur le Président, mais de remplir la mission qui m’a été donnée, soit de sortir des mesures concrètes et applicables, de proposer des textes qui coulaient de source en dehors de tous lobbies et tout intérêt. Et tout ce travail pour arriver à un projet de loi très décevant… 

     

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    Quels ont été ces points de déception sachant que Barbara Pompili, ministre de la transition écologique a annoncé que le futur projet de loi climat retranscrira « à peu près 40 % » des mesures proposées par la Convention Citoyenne pour le Climat ?

    Il faut préciser que ces 40% reste une estimation et on ne sait pas encore sous quelle forme les mesures seront adoptées. Beaucoup d’entre-elles ont été détricotées, édulcorées alors que l’on a pensé les lois pour qu’elles soient cohérentes entre elles et forment un ensemble. Par exemple, je travaillais dans le groupe “Se nourrir” et le gouvernement s’est montré favorable à notre proposition de modifier la loi Egalim (loi agriculture et alimentation) mais réticent à changer sa posture sur la Politique Agricole Commune (PAC). Ce qui est un total non-sens puisque la PAC est LE levier financier pour engager des changements concrets dans l’agriculture. Idem lorsque nous avons proposé l’interdiction de la publicité pour les produits les plus émetteurs de gaz à effet de serre. Le lendemain de notre présentation, nous avons découvert dans les médias que Bruno Le Maire était totalement opposé à notre proposition et qu’elle ne passerait pas. La publicité sera bien « limitée » mais dans une démarche plus incitative que contraignante. Tout a été détricoté alors que ce n’était pas dans l’accord initial. En gros, dans ces 40%, le gouvernement a mis de côté les mesures “polémiques” qui nécessitent un réel changement de fond pour se focaliser sur des mesures facilement applicables et non contraignantes.

     

    Votre mesure phare sur l’introduction du terme d’écocide dans la Constitution a été remplacée par un nouveau projet de loi présenté par Barbara Pompili et le Ministre de la justice Eric Dupont-Moretti. Qu’en pensez-vous ?

    Ce projet de loi est une coquille vide. Elle ramène notre proposition initiale de pénaliser le crime d’écocide à un simple “délit” de polluer qui sera encore moins contraignant que les lois qui existent déjà. Nous avions déjà écrit une lettre ouverte contre ce texte de loi et pour qu’Emmanuel Macron prenne ses responsabilités. Le Président nous avait déjà montré une certaine réticence à cette proposition en juin dernier sous prétexte qu’il fallait mettre le sujet à l’échelle internationale et non nationale. De mon point de vue, cette proposition lui faisait peur. Peur des représailles d’autres pays ou bien que la France soit attaquée par des ONG ou des grosses sociétés du CAC 40. 

     

     

    Est-ce que ce manque d’ambition et de volonté politique du gouvernement peut alors s’expliquer en partie par une pression des lobbies selon vous ?

    C’est un gros problème et nous l’avons ressenti plusieurs fois. Lorsque notre groupe “Se nourrir” à présenter ses propositions lors de différentes sessions, tous les acteurs de l’alimentation étaient les bienvenus. Pendant l’une des réunions qui a duré 2h30, nous avons passé plus de temps à encaisser les critiques de l’agroalimentaire et notamment de la FNSEA qui accusait nos lois d’être liberticides. Comme les mesures les dérangeaient, ils demandaient sans cesse la parole et nous avions à la fin même plus le temps de répondre. 

    Un autre exemple très concret est la lettre envoyée directement à quatre ministres par des industries de l’agroalimentaire dont Nestlé et Danone. Le but était de nous mettre des bâtons dans les roues et de contrer notre proposition de loi sur l’interdiction de la publicité pour les produits trop sucrés, trop gras, trop salés notamment en direction des enfants. Ce sont des mesures qui sont dans les clous depuis longtemps de nombreuses ONG et les lobbies n’hésitent pas à monter au front pour défendre leurs intérêts.

    Même Emmanuel Macron faisait une forme de lobbyisme lui-même quand il est venu nous rencontrer pendant nos travaux. Il nous disait par exemple que le secteur du plastique concernait énormément d’entreprises et de le supprimer d’un coup ne serait pas forcément la solution…

     

    Grégory Oliveira Dos Santos, lors d’une réunion de travail de la convention Citoyenne pour le Climat. crédits : CESE

     

    Est-ce que vous pensez qu’Emmanuel Macron a sous-estimé le travail que vous avez fait ?

    En effet, je pense que le gouvernement s’est fait surprendre par la qualité de nos textes. Il pensait sans doute qu’on allait juste manger des petits fours et rigoler tous ensemble et faire des mesures utopistes entre « hippies » qui pourraient être balayées d’un revers de la main car non réalistes ! (rires)

    Au début, il nous avait dit que si les mesures étaient mal écrites, il fallait qu’il repasse par des légistes parce qu’un texte non conforme ne pouvait pas être transmis en l’état à l’Assemblée Nationale. Le premier confinement a été quelque part une “chance” pour nous car les légistes ont eu deux mois de plus pour rédiger les mesures. Le gouvernement s’est retrouvé bien embêté en recevant des mesures parfaitement écrites où il n’ y avait rien à dire sur le plan juridique et légistique, bien loin de mesures “utopistes”. Et aujourd’hui ces mesures applicables ne le sont pas et provoquent notre mécontentement soutenu par des dizaines d’ONG et d’associations. 

    Est-ce que cette colère vous conforte dans le fait qu’un changement radical ne peut se faire dans le cadre d’une politique “traditionnelle” ? 

    En effet, je le dis de plus en plus souvent maintenant qu’on ne va pas demander aux responsables de la catastrophe de trouver la solution ! La convention citoyenne a été pour moi une sorte d’illumination, une manière de faire démocratie autrement et de s’émanciper de la politique telle qu’on la connaît. Cela m’a ouvert les yeux sur l’importance d’agir localement, de faire des minis conventions citoyennes et aborder des problématiques à l’échelle locale. Par ce biais on va redonner envie aux gens de retourner aux urnes et de s’engager à nouveau en politique. 

    La Convention citoyenne vous a donc permis de vous réapproprier le politique ? 

    Oui, je pense que je vais m’engager politiquement, dans une manière plus cohérente, plus citoyenne et plus démocratique. Je ne sais pas encore comment mais c’est en réflexion. On a toujours voulu nous faire croire que la politique était compliquée, réservée à des énarques alors que c’est faux. Cette convention m’a permis d’acquérir des compétences comme rédiger un texte de loi par exemple. J’ai beaucoup appris au contact de toutes les personnes que j’ai rencontrées. Je pensais au début qu’on allait se retrouver à 150 écolos à parler dans un entre-soi alors qu’on était de tous bords politiques, de toutes catégories sociales avec différents degrés de conscience écologique. Il y’avait même un climatosceptique c’est pour dire ! Cela n’a pas empêché de s’impliquer à fond et de travailler tous ensemble. 

    Et qu’est devenu aujourd’hui ce climatosceptique ? 

    Et bien il installe aujourd’hui des panneaux solaires chez lui ! (rires) 

     


     

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