Eco hameau du Plessis #1 – Les premiers pas du plus grand écolieu de France…

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    Qui aurait pensé il y a vingt ans que Pontgouin, situé aux confins de la Beauce (Eure-et-Loir), renaitrait par l’effet conjugué de la spiritualité et de l’écologie ? Que les familles Gonipontines viendraient se promener sur des terres où s’inventent une autre manière d’habiter la Terre, de vivre ensemble, de faire ensemble ? Le 5 mai 2019, lors de l’inauguration officielle de l’éco hameau du Plessis, membre du réseau des Oasis, le vice-président de Région, Charles Fournier, délégué à la transition écologique et citoyenne, ne cache pas son enthousiasme pour « l’expérimentation démocratique » ; le Maire Jean-Claude Friesse salue « l’économie d’espace et d’énergie » ; et même la députée locale, Laure de La Raudière (LRM), se déclare « très intéressée par son caractère écologique et frugal ». Prudente, elle ajoute « il faudra voir dans le temps comment les promoteurs y vivent ». Sans attendre, c’est ce que nous avons voulu vérifier par nous-mêmes…  

    Des trentenaires en quête d’écologie et de spiritualité

    La récente rue Paul Minard, du nom d’un gars du pays, inspecteur général des Ponts et Chaussées, qui conçut au tournant du XXe siècle le port en eau profonde de Cherbourg, aurait pu desservir un lotissement de 40 maisons porté par un promoteur en vue. Mais, signe des temps, les maisons n’ont pas trouvé preneur. Sur ces terres agricoles en jachère depuis 15 ans et inscrites comme constructibles au plan local d’urbanisme de la commune, une poignée d’ingénieurs trentenaires ont embarqué compagnes, compagnons et amis pour construire un lotissement écologique XXL : 28 maisons, des bâtiments communs, et des aménagements en permaculture sur les trois hectares et demi de terrain non bâti où vont pousser des cultures vivrières pour les habitants. Cet écolieu de belle taille reste assez rare en France, d’autant plus qu’il se complète par un un habitat groupé pour 24 personnes âgées initié par ETW France, l’ONG d’Amma.

    L’éco hameau du Plessis : 28 maisons, des bâtiments communs et des aménagements en permaculture sur les trois hectares et demi de terrain non bâti où vont pousser des cultures vivrières pour les habitants…

    Plusieurs dates importantes jalonnent cette aventure dont Mathieu Labonne est le capitaine au long cours. « Enfant, j’étais attiré par l’idée de choisir les gens avec qui j’allais vivre et j’avais l’envie de créer un lieu collectif proche de la nature ». Pendant ses années d’études d’ingénieur en aérospatiale, il se rend à Auroville en Inde. Là, s’y épanouit « une démarche holistique et une expérience très concrète et nourrissante », qui va tracer son cheminement personnel et ancrer en lui l’idée que la forme collective, la vie locale, le partage sont une troisième voie à explorer pour catalyser l’engagement citoyen. Mais aussi pour y favoriser les changements politiques à grande échelle, nécessaires pour contenir le réchauffement climatique.

    ©Alexandre Sattler

    En 2002, il est étudiant quand l’organisation indienne non gouvernementale Embrassing the World (ETW) achète la ferme fortifiée du Plessis, à Pontgouin. Cette organisation humanitaire et écologique, fondée par Amma (Mata Amritanandamayi), figure spirituelle de l’hindouisme, veut y créer un ashram. À l’époque, peu de gens en France connaissent Amma, celle qui « étreint les foules » et qui a fait de l’amour désintéressé son chemin de vie. Mais cette acquisition d’une bâtisse du XIIIe siècle, plusieurs fois remaniée, avec un magnifique donjon au centre d’une cour carré, 4000 m2 habitable, trois étangs et 6 hectares de terres cultivables, interroge voire inquiète localement.

    Mathieu Labonne devenu chercheur sur le climat au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et inspiré par cette démarche d’Amma, s’engage dans la création de ce lieu de vie communautaire très ouvert, dont il devient le coordinateur en 2010. La ferme du Plessis est entièrement gérée par des bénévoles qui pratiquent le service désintéressé (seva, en sanskrit) « effectué avec dévouement et sans recherche de gain personnel ». Les valeurs de bienveillance, de compassion sont incarnées dans la gouvernance participative qui se met en place progressivement, pour dans un premier temps, restaurer le bâti exceptionnel. Puis pour la gestion quotidienne et l’organisation d’événements autour de l’écologie concrète.

    Une gestion collective au long court

    C’est dans ce terreau fertile que Mathieu, Fanny, Dorian, Pierre, Clarisse, Aurore, Laurent et d’autres, une douzaine en tout, se sont rencontrés, ont expérimenté ensemble la gestion collective d’un lieu. Et en 2013, le projet d’éco hameau a germé : un lieu qui incarne un mode de vie écologique et harmonieux, qui soutient les intentions de partage, de sobriété, de simplicité, d’autonomie, et de respect de la nature et des cycles de la vie de ses habitants. « Il n’y aurait pas d’éco hameau sans le centre Amma dont il est le prolongement naturel. Nous cherchions à créer un lieu de vie moins communautaire qui nous permette d’être sur place pour assurer au quotidien la gestion du centre, sans y habiter » résume Mathieu Labonne. Pour autant, il n’est pas nécessaire d’adhérer à ce mouvement spirituel pour faire partie du projet d’éco hameau.

    L’éco hameau est étroitement lié au centre Amma, un centre spirituel et le de vie communautaire très ouvert

    Deux ans plus tard, quand le terrain du lotissement est finalement remis en vente, ils se lancent. Il faut dire que celui-ci est idéalement situé, en bordure du village de Pontgouin, descendant doucement vers le sud et s’ouvrant au loin sur la forêt de Senonches. Un « comité de pilotage » de 10 personnes, avec un coordinateur, un animateur et un secrétaire est constitué pour assurer le suivi juridique et administratif. Des plénières se déroulent chaque trimestre rassemblant sur place ou en visioconférence les futurs habitants. Les grandes orientations (raison d’être, cahier des charges de construction des maisons, gouvernance, bâtiments communs…) y sont validées par le consentement de tous. Ces week-ends sont aussi des moments importants pour « faire ensemble » : planter 100 arbres fruitiers divers, créer la buanderie collective et deux stations d’épuration, faire sortir de terre les premiers potagers…

    L’écohameau en construction vu de haut – ©Alexandre Sattler

    Pour rassembler les familles qui viennent se joindre au noyau de départ, le bouche à oreille est privilégié. Les deux ans nécessaires pour convaincre municipalité et élus font le reste. Aux termes de deux enquêtes publiques (pour déclasser un chemin communal et être autorisé à installer la phyto-épuration) et l’instruction du permis d’aménager, elles sont 26 à cosigner le permis d’aménager en septembre 2017. Quelques mois plus tard, elles sont chacune propriétaire ou copropriétaire d’une parcelle. Deux lots restants sont encore portés par le collectif. Le nombre de 28 parcelles a été dictée par la taille du terrain et le coût de viabilisation. Vu de loin, on pourrait penser à un lotissement très classique mais le design en permaculture qui organise le hameau en 5 “fleurs” composé de quelques maisons entourant un potager collectif permet de créer plusieurs échelles de coopération au sein du hameau : celle de la maison individuelle qui permet une indépendance familiale, celle de la pétale de fleurs qui regroupe quelques familles et enfin celle de l’éco hameau tout entier.

    Vu de loin, l’éco hameau ressemble à un lotissement classique ; mais le design en permaculture qui organise le hameau permet de créer plusieurs échelles de coopération étroites

    Cette forme correspond aussi au choix juridique qui privilégie la simplicité de fonctionnement. L’association syndicale libre, qui a pris la relève pour la gestion des communs du projet, est celle des lotissements. Chaque parcelle donne droit à une voix, quel que soit le nombre de personnes qui y réside. Un comité de pilotage de sept personnes assure l’administration quotidienne pour deux ans. « Quand le COPIL a trop de choses à gérer dans un domaine, il crée un pôle, coordonné par une personne du COPIL » résume Clarisse. Mathieu coordonne le pôle communication, Mael celui de la conduite de travaux. Le 29 avril dernier, Annie a créé le pôle « espaces non-bâtis ». Ce modèle est celui qui a été éprouvé à la Ferme du Plessis.

    Au sein de la gouvernance, chaque pôle a comporte des rôles : ici le pôle jardins de l’écohameau, créé au printemps 2020

    Au printemps 2018, les bulldozer et les pelles mécaniques peuvent enfin venir sur le terrain. Des noues et des mares sont creusées recueillant les eaux usées filtrées dans les futures stations de phyto-épuration. Des placettes et des chemins sont dessinés, le parking commun terrassé, et tous les réseaux créés. Parmi eux, on notera celui qui permet de récupérer l’eau des toitures dans quatre cuves communes de 70m3 au total.

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    Et c’est en mars 2018 que la pose de la première botte de paille a pu se faire. « Dans les choix de construction qui ont été posés (lire notre encadré), chacun s’est organisé comme il l’entendait. Avec Fanny et Mathieu, Aurore et Maël, Annie et moi, on avait le même type de projet. Alors on a fait un sous-lotissement avec le même constructeur. Puis pour les aménagements intérieurs, chacun a fait à son idée » raconte Luc Delemotte, jeune retraité. Et chaque maison a ses propres astuces pour améliorer la performance. Mathieu a créé un mur intérieur en brique de terre crue pour augmenter l’inertie. Abel a installé la VMC directement dans le caisson des toilettes sèches.

    Plantation d’un arbre le jour de l’inauguration de l’écohameau – Etw-france.org

    « Au plan technique, on s’apprend beaucoup par l’échange » souligne Fanny. Même sentiment de la part de Clarisse et Pierre, qui partagent une parcelle avec Célia et Dorian, et sur laquelle ils construisent une maison mitoyenne avec une pièce “flottante”, en ce qu’elle peut être rattachée à l’une ou l’autre des maisons. « Pour examiner les devis, trouver les solutions, suivre le chantier, c’est plus facile de faire ça à quatre. L’un de nous arrive toujours à se rendre disponible » se réjouit Clarisse. « On a choisi de faire les cloisons à ossature métallique en plaque de plâtre dites BA 13, par ignorance en réalité. Mais c’est incohérent avec le projet » regrette Pierre. En effet, cette technique de construction de cloison utilise des matériaux pré-conditionnés dont la fabrication consomme beaucoup plus d’énergie que la brique de terre crue, par exemple. En revanche le choix du jonc de mer pour le sol à l’étage leur a permis d’être à la fois bon au plan écologique et de faire une grosse économie. Ils ont aussi ajouté des cuves de récupération d’eau de pluies pour leur usage domestique. Ces pionniers de l’éco hameau essuient les plâtres ; leur expérience facilitera la construction des futures maisons.

    L’écohameau en construction – ©Alexandre Sattler

    Avec les 4 familles déjà installées et d’autres souvent présentes sur le site, une vie collective prend forme. L’empreinte écologique ne se limite pas à la qualité du bâti mais dépend aussi comment on y vit. « On va pouvoir se retrouver pour faire des choses ensemble, du pétillant de sureau ou de la lessive, s’échanger des savoir-faire avec le double effet de monter en compétence et de ressentir la joie de faire par soi-même » s’enthousiasme Fanny Labonne, avant d’ajouter : « On peut aussi trier dans ce que la modernité nous offre. La machine à laver (commune), le frigo, je les garde. Les couches lavables, ce n’est pas la joie de les laver, mais l’impact sur l’environnement ainsi évité me procure une réelle fierté. Chacun est libre de positionner le curseur de son engagement en faveur d’une vie plus écologique dans les cadres posés collectivement ». La sobriété se vit aussi au niveau de ses loisirs. « Ici, je vais peut-être moins sortir car je bénéficie d’un tissu social et d’activité qui m’intéresse » estime encore Fanny, qui a rejoint le Conseil municipal aux dernières élections avec son voisin Luc Delemotte.

    « On trie dans ce que la modernité nous offre. La machine à laver (commune) et le frigo, on les garde. Les couches lavables, ce n’est pas la joie, mais l’impact sur l’environnement ainsi évité me procure une réelle fierté…».

    La porosité entre le hameau et le village se renforce d’ailleurs au fil du temps. Par les curieux qui viennent voir l’éco-hameau en construction, mais pas seulement. Une des copropriétaires, Claire, a dû différer la construction de sa maison car elle a rénové un café au sein même du village : « La Maison Jaune », un café associatif avec des jeux pour les enfants et un espace de vente de produits locaux. On y croise de plus en plus de Gonipontains, contents de voir leur bourg revivre. Le lien des habitants de l’écohameau au reste du territoire n’est pas le moindre des succès de ce projet !

    Créée par Claire, future habitante de l’écohameau, « la Maison Jaune » est une épicerie de producteurs locaux associative et un restaurant – Christine Laurent


    Radiographie de l’Éco hameau

    PARCELLAIRE 
    – Surface totale : 4 hectares
    – Nombre de parcelles constructibles 28 (8 000 m2 / parcelle)
    – Les communs (maison commune, trois stations de phyto-épuration, trois buanderies communes) sont ou seront gérés par l’association syndicale libre
    – Chacun est propriétaire de sa parcelle et construit sa maison selon un règlement de construction partagé qui impose :
    ° une conception bioclimatique (ouverture au sud, bonne isolation et bonne inertie du bâtiment afin de limiter les variations thermiques),
    ° une attention portée à l’énergie grise nécessaire à la fabrication et aux transports des matériaux utilisés, dans le respect de l’architecture locale.

    ÉNERGIE
    – La réglementation thermique (RT) fixe la quantité maximale d’énergie que peut consommer un bâtiment neuf. Celle qui s’applique est la RT 2012. Elle comprend un indicateur nommé besoin bioclimatique (bBio). Celui-ci synthétise trois besoins (chauffage, éclairage, climatisation) liés au bâtiment. A l’éco-hameau du Plessis chacun s’engage à réduire cet indicateur d’au moins 20%, tout en encourageant à “être passif”, c’est à dire à isoler le mieux possible sa maison pour ne pas avoir besoin de recourir à un système de chauffage.
    – Ici, pas de gaz ni de fioul, le chauffage est assuré par des énergies renouvelables (biomasse, solaire, éolien) en première intention et le chauffage électrique n’est qu’un appoint.
    – L’eau chaude sanitaire solaire est obligatoire.

    EAU & ÉVACUATION
    – Les toilettes à eau sont interdites. Tous les logements sont équipés de toilettes sèches afin d’assurer le bon fonctionnement du système de phyto-épuration auquel toutes les maisons sont reliées.
    – Les produits d’entretiens utilisés devront être compatibles avec ce système de phyto-épuration
    – Toute l’eau des toitures est récupérée et stockée sur la parcelle pour un usage personnel ou dirigée vers des espaces de stockage communs.

    MATÉRIAUX
    – Les matériaux de construction privilégiés sont naturels, non-toxiques et si possible d’origine locale (bois, terre crue, terre cuite, paille, chanvre, etc…).
    – L’énergie grise liée à leur fabrication et leur transport doit être considéré.
    – Le béton de ciment est possible pour les fondations mais interdit pour les élévations, à l’exception des renforts structurels tels que les poteaux et chaînages.
    – L’usage du polystyrène et de la laine de verre sont interdits.
    – Les huisseries et menuiseries extérieures en bois sont privilégiées, lesquelles peuvent être peintes, lasurées, ou laissées naturelles.
    – Les façades sont recouvertes d’un enduit traditionnel (chaux, terre…), ou d’un bardage bois.
    – Les toitures sont en ardoises, bardeaux de bois, tuiles ou végétalisées.
    – Les gouttières et descentes en PVC ne peuvent pas être utilisées, sauf si elles sont intégrées dans la toiture et donc non visibles de l’extérieur.


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