Vivre et vieillir ensemble en habitat participatif

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    Habiter ensemble, sans forcément vivre sous le même toit. Partager des moments, des espaces communs tout en gardant sa vie privée. De nombreux retraités partagent ces envies et optent désormais pour l’habitat participatif. Rencontre avec ceux qui ont fait ce choix. 

     

    Dans la campagne iséroise, le petit village d’Ornacieux-Balbins abrite un éco-hameau original : huit maisons, construites proches les unes des autres sur un terrain d’environ 3 000 mètres carrés. Y vivent neuf adultes, âgé de 56 à 80 ans et deux jeunes de 17 à 18 ans, prêts à quitter le nid prochainement. La majorité habite seule, comme Marie-Christine Penelon. Coupe au bol auburn, elle nous reçoit dans sa maison traditionnelle : « Nous sommes un groupe d’amis, explique la septuagénaire. Nous avions l’envie de vivre proche les uns des autres, de s’entraider, pour ne pas vieillir seuls, mais aussi ne pas être à la charge de la collectivité ou de nos enfants. » Des enfants qui vivent aux quatre coins de la France, voire du monde.

    On toque à la porte. Isabelle Legrand-Bouvaist et sa maman, Françoise Legrand, entrent les bras chargés de plats à partager pour le midi : « Le but est aussi de partager des moments de vie, explique celle qui a conçu sa maison en deux parties : une pour elle et ses deux adolescents, et une pour sa mère, âgée de 80 ans. Tous les matins, avant d’aller travailler, je vérifie que maman aille bien. » À l’origine de l’idée d’habitat groupé, Laurent Bardet, 70 ans, cheveux longs attachés en une queue-de-cheval grise et ex-infirmier à domicile : « Je voyais les gens vieillir seuls chez eux et je trouvais ça triste. Certaines grands-mères se soutenaient, mais elles habitaient trop loin les unes des autres pour s’aider au quotidien. » Il glisse l’idée d’un habitat partagé à plusieurs amis de longue date, comme Martine Carrier : « Nous avons visité de grandes maisons susceptibles d’être habitées à plusieurs, se souvient-elle, avec des chambres à l’étage et des parties communes en rez-de-chaussée, mais cela nous rappelait la configuration des maisons de retraite. » « Nous ne voulions pas non plus vivre en colocation, car nous sommes attachés à notre indépendance », complète Marie-Christine Penelon. 

    Chaque famille dispose d’un jardin privé en plus des espaces verts communs ©Simon Pouyet

    Rester indépendants 

    En 2010, le groupe d’amis s’engage sur la voie de l’habitat participatif – un statut désormais encadré juridiquement par la loi Alur de 2014 –, comme une démarche citoyenne permettant à des groupes de personnes de construire leur logement et de partager un mode de vie écologique et communautaire, à moindre coût.* Un mode d’habitat existant depuis des dizaines d’années sans statut spécial, mais qui est désormais facilité par la législation. « Au départ, nous voulions un projet intergénérationnel, raconte Marie-Christine Penelon, mais cela n’a pas fonctionné car la zone géographique où nous souhaitions habiter est trop éloignée des bassins d’emplois. Nous tenions à garder nos réseaux d’amis et d’associations. » Autre tentative infructueuse ? Celle de trouver un lieu compatible. Est donc aménagé le terrain de Marie-Christine Penelon, pour y construire six maisons neuves en plus de l’habitation existante. « Dans un contexte de concurrence entre surfaces agricoles et bâties, le choix a été fait de petites surfaces [58 mètres carrés au sol pour certaines maisons], pour densifier l’habitat déjà existant au cœur du village », écrit le groupe baptisé « Les Marcottes », dans sa charte d’habitat fondée sur des valeurs écologiques et humaines. « Nous récupérons l’eau de pluie pour les toilettes, les machines à laver et verte l’arrosage des jardins, précise Martie-Christine Penelon. Notre fournisseur d’électricité est Enercoop – fournisseur d’électricité 100 % –, nous covoiturons beaucoup et nous faisons attention les uns aux autres. » 

     

    Partager le quotidien 

    Chacun a les clés de toutes les maisons et « puisque nous avons des petits espaces, nous nous aidons pour héberger les amis », complète Isabelle Legrand-Bouvaist, pour qui ce changement n’a pourtant pas été aisé à initier. « J’ai dû faire le deuil de mon ancienne maison familiale. Pour y arriver, nous avons fait un atelier où nous devions écrire ce que ce changement de vie nous ferait perdre et ce qu’il nous ferait gagner », confie-t-elle. Un avantage important ? L’entraide permise par la proximité des habitations. « Nous partageons plus de moments que de choses matérielles, poursuit la seule adulte non retraitée des Marcottes : On s’aide pour déplacer des meubles, bricoler, poursuit la professeure d’agroéconomie. Même si on peut se débrouiller seul, faire les choses à deux est souvent plus agréable. » Les Marcottes se retrouvent pour fêter les anniversaires, Noël pour ceux qui ne sont pas en famille, le Nouvel An, tout en respectant l’intimité de chacun. Sur la porte de Laurent Bardet, il y a une pancarte : au recto, « It’s open », au verso « Sorry, it’s closed ». « Je la tourne en fonction de mon envie de voir du monde ou pas », confie le célibataire : « On respecte la solitude de chacun, car l’équilibre entre son intimité et le collectif est très important. Chacun a sa vie, on ne s’y immisce pas et on ne juge pas. » 

    Marie-Christine Penelon a conservé sa maison en pisé. ©Simon Pouyet

    Veiller les uns sur les autres 

    Certaines périodes, notamment l’hiver, sont d’ailleurs plus solitaires : « On s’est rendu compte qu’on pouvait ne pas se croiser pendant une semaine, note Marie-Christine Penelon, alors Laurent a eu l’idée d’organiser, tous les mercredis, un repas chez lui. » Vient qui veut. « Ce n’est pas une obligation, mais cela crée une occasion d’être ensemble », ajoute l’hôte. « Comme ça, on vérifie qu’on est toujours en vie ! » lance-t-il en plaisantant. Mais l’humour tient sa part de vérité : « Nous sommes nombreux à vivre seuls et nous avons été un peu traumatisés par l’histoire d’un copain, retrouvé mort chez lui au bout de huit jours, confie Marie-Christine Penelon. Il y avait de la lumière chez lui, même la nuit, mais puisque nous le savions insomniaque, rien ne nous a alerté. » Un sujet qui revient régulièrement lors des réunions mensuelles des Marcottes : « Ce qui nous préoccupe le plus, ce sont les histoires de santé, précise Pascale Badel, qui a rejoint l’éco-hameau en août 2015, savoir comment on gère les maladies qui pourraient nous concerner, qu’avons-nous envie d’écrire dans nos directives anticipées, ce que l’on veut pour notre mort… » 

     

    Ne pas s’enfermer 

    S’ils partagent du temps et des activités, les habitant des Marcottes ne vivent pas qu’entre eux. Au contraire, le fait d’être ensemble les aide à rester ouverts sur l’extérieur : « Avant d’être à la retraite, nous étions déjà tous très actifs et membres de diverses associations, note Marie-Christine Penelon, qui rappelle leur combat pour l’environnement au Larzac, décrit l’ambiance des bals folks au village… C’était un souhait de continuer à être acteur de la vie de la commune. » Situé sur le sentier de Saint-Jacques de Compostelle, l’éco-hameau accueille également des pèlerins : « Martine s’occupe du repas, Laurent fournit la literie… ils donnent ce qu’ils veulent pour la nuit », précise notre hôte. « Nous allons bientôt héberger des migrants qui sont en formation professionnelle, se félicite Martine Carrier. C’est possible parce qu’on peut s’organiser entre nous pour s’en occuper. » Certains sont bénévoles à la bibliothèque, d’autres membres d’associations de peinture, de théâtre, de musique… De quoi ne pas vivre qu’entre retraités. 

    Les habitants du coteau de la Chodanne aiment se retrouver dans la maison commune ©Simon Pouyet

    Choisir l’intergénérationnelle 

    À 80 kilomètres au nord de l’éco-hameau des Marcottes, près de Lyon, d’autres ne veulent pas « vieillir entre soixante-huitards », dixit Christian Bois, habitant de l’éco-habitat participatif les Coteaux de la Chaudanne à Grézieu-la-Varenne. Avec Odile Melot, le couple s’est engagé dans un habitat intergénérationnel. Sur un terrain en bord de ruisseau, ont été construits deux bâtiments : « Celui du bas, pour les jeunes ou les familles avec enfants, avec deux étages, nous fait visiter Odile Melot. Celui du haut, pour les vieux, avec seulement un étage. » En tout, douze familles vivent ici : dix-neuf adultes et seize enfants. Ils disposent de nombreux espaces communs : jardin, garage à vélo, cave à vin, laverie, atelier de bricolage et une maison commune composée d’une salle de yoga, de méditation « qui sert aussi de dortoir, lorsque l’on a besoin d’héberger beaucoup de personnes », explique Odile Melot, avant de montrer la chambre d’amis et la salle de bain attenante. « Il y a un planning de réservation de la maison commune, dit-elle en montrant la feuille de papier punaisée à côté de l’entrée. On essaye de garder un maximum de choses sur papier, pour les anciens comme moi qui ne sont pas trop à l’aise avec le numérique », confie-t-elle avec un sourire, avant d’affirmer que cela peut être source de conflit : « Les jeunes discutent beaucoup via des applications de messagerie et ne pensent pas toujours à nous envoyer des emails », regrette-elle.

    Au rez-de-chaussée, une grande salle à manger, où, ce vendredi soir, se retrouvent les habitants qui le souhaitent, autour d’un apéro participatif : « Il y a cette idée fondatrice de solidarité et de convivialité, que si quelqu’un voit mes volets fermés, il viendra voir si tout va bien, explique Odile Melot. J’ai eu un accident de voiture et on m’a porté mes courses pendant trois mois ! C’est un bel exemple de solidarité de la part des jeunes [lire pages 87 et 88]. D’un autre côté, nous, les vieux, sommes très utiles aussi. On en fait du babysitting ! » Passe alors une petite fille, derrière laquelle court sa maman : « Bonjour Hélène ! » la salut Christian Bois. Il nous explique que les deux aînés du couple sont handicapés : « Avec Odile, on s’occupe de l’un des deux le jeudi après-midi. Il aime le jazz. » Autour de la table ce soir, Anne Chiarlone, retraitée, raconte : « Cela m’a bousculée, dans le bon sens du terme, de vivre avec des jeunes. J’ai appris à lâcher prise. Nous, les soixante-huitards, on se fait des nœuds dans le cerveau alors que les jeunes se prennent moins la tête. Passer la tondeuse alors que l’herbe est mouillée ? Eux, ça ne les choque pas ! » « On ne s’est pas simplifié la vie, commente Odile Melot avec humour. Non, la vie n’est pas plus simple, mais elle est plus gaie. » 


    * Source : www.cohesion-territoires.gouv.fr 

     Pour aller plus loin 

    • www.habitatparticipatif-france.fr

     

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