Association Triticum – La résilience alimentaire aux portes de Rouen

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    Imaginer un rapport à l’alimentation plus serein et durable : voici l’ambitieux projet de l’association Triticum créée près de Rouen, en Normandie. Face aux enjeux climatiques, ses bénévoles mettent en place des actions citoyennes et collectives pour développer une résilience alimentaire locale. Reportage.

    C’est à Roncherolles-sur-le-Vivier, en Seine-Maritime, dans la banlieue rouennaise, qu’une vingtaine de bénévoles de l’association Triticum se sont donné rendez-vous pour une activité peu commune : moissonner le blé. Ils sont enseignant, ingénieur, artiste, ou en recherche d’emploi, et ont peu de liens avec le domaine agricole. Pourtant, ils ont tous le désir de contribuer à la mise en œuvre d’une résilience alimentaire et d’un renouveau agricole. « Pratiquer la résilience alimentaire, c’est assurer une certaine sécurité avec ce l’on produit localement, pour prévenir les futurs bouleversements climatiques », déclare Simon, cofondateur de l’association.

    Créé en 2019, Triticum, qui signifie blé en latin, est le projet de Simon, Cécile, Julien et Stéphanie, tous quatre engagés dans le développement des réseaux de semences citoyennes et paysannes à Rouen. « On a souhaité permettre à la population de se réapproprier le travail de la terre et la nourriture », explique Simon. L’association organise régulièrement des ateliers d’agriculture participative, afin de permettre aux citoyens et locaux de redécouvrir les techniques ancestrales autour de la culture des céréales. Elle permet ainsi la sauvegarde et diffusion de ces collections de céréales issues des semences paysannes, cultivées par les bénévoles dans de petites parcelles autour de Rouen.

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    Rapidement, l’association a développé un solide réseau dans le domaine agricole. « Au cours d’un événement pour présenter l’association, nous avons rencontré Carole Debruyne-Delattre, bergère et agricultrice de la région, qui nous a généreusement prêté une parcelle pour que l’on puisse semer sur de plus larges terrains. Puis quelqu’un d’autre est venu nous voir pour mettre sa ferme à notre disposition. Ce qui nous a permis de stocker nos productions », explique Cécile avant d’ajouter : « À force d’échanger autour du projet, c’est monté crescendo et les gens sont venus à nous, de plus en plus nombreux. C’est très motivant. »

    Comptant aujourd’hui près de deux cents bénévoles, l’association est organisée de manière circulaire : chacun met ses compétences à profit. L’objectif : former les citoyens aux techniques agricoles traditionnelles, avec des ateliers participatifs et collectifs. C’est le cas de Lucile, lycéenne venue moissonner en compagnie d’une amie et de sa famille. Bandana dans les cheveux et manches de chemise retroussées, la jeune fille met un pied pour la première fois dans le milieu paysan. « Je participe à l’association depuis le début avec mes parents. Honnêtement, je pensais que ce serait plus technique. C’est très abordable, même pour quelqu’un qui n’est pas dans le milieu […] Faire ça tous ensemble, c’est génial, et ça permet de créer un réel lien. On redécouvre ce qu’il y a dans notre assiette », explique-t-elle, sourire aux lèvres et mains dans la terre.

    Sur les petites parcelles, la moisson du blé se fait à la main. © Charlène Dosio

    Se réapproprier son alimentation

    En cent ans, près de 75 % des variétés de légumes et céréales cultivées auraient disparu, selon les estimations de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Un constat alarmant, aggravé par les problèmes que pose le blé conventionnel  : maladies, allergies, intolérance, etc. « Aujourd’hui, le problème, c’est que pour augmenter les rendements, il y a des agents chimiques et beaucoup de pesticides dans l’exploitation du blé industriel », souligne Carole. « Je travaille dans l’agriculture biologique depuis 2016. L’objectif de ma ferme, c’est d’atteindre une vraie autonomie alimentaire sur le local, pour pouvoir repartir sur des variétés de blé ancestrales. Entreprendre ce projet avec l’association, ça correspond totalement à mes valeurs. »

    Derrière ce projet, il s’agit pour chacun de se réapproprier son rapport à la nature, partir de la terre nourricière pour aller jusqu’au pain, un « idéal de vie », selon l’agricultrice : « Récolter et manger ce que l’on produit, c’est très motivant. Le pain, ce n’est pas seulement chez le boulanger. Il y a toute une filière derrière. Avec Triticum, c’est la société civile et les citoyens lambda qui redécouvrent ce qu’ils ont dans leur assiette. C’est très encourageant de voir qu’aujourd’hui, il y a des gens qui s’intéressent à cela. »

    Pour Triticum, l’objectif est donc de lutter contre les méthodes industrielles et l’importation alimentaire, en promouvant les semences paysannes. Des graines sélectionnées par les paysans, synonymes de diversité et tradition agricole. Comme le rappelle Simon, cofondateur de l’association, ces semences sont « librement échangeables dans le respect des droits d’usage définis par les collectifs qui les font vivre. » L’autre projet de l’association est de créer une filière locale, en allant du blé au pain, afin de nourrir la population de la métropole de Rouen. « Les générations de blé développées grâce aux semences paysannes sont davantage diversifiées et s’adapteront plus facilement aux changements climatiques à venir », explique Carole. 

    Chaque gerbe de blé est soigneusement nommée et rangée par les bénévoles. © Charlène Dosio

    Imaginer le monde d’après

    Selon un rapport de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) datant de 2017, d’importantes incertitudes pèsent sur la sécurité alimentaire future. Les sécheresses, la salinité du sol, les maladies, ou encore les inondations : autant de facteurs qui pourraient fortement perturber les systèmes agricoles dans les années à venir. Pour relever ces immenses défis, liés au changement climatique, « il devient urgent de réduire l’utilisation des machines et la consommation d’énergie, mais surtout d’enclencher le développement de nouvelles variétés agricoles, plus durables et résistantes », indique Cécile, avec conviction. Sortir des modèles agricoles pensés de façon essentiellement industrielle.

    Dissimulée sous de grands filets clairs, l’association recèle un précieux trésor : sa « petite collection », des parcelles d’un mètre carré, moissonnées à la main, où poussent près de quatre-vingts variétés de blé différentes. Ces semences paysannes proviennent des frigos du Centre de ressources biologiques (CRB) de l’INRA de Clermont-Ferrand, partenaire de l’association. Le but de ces expérimentations scientifiques à ciel ouvert ? Étudier les variétés de blé, pour ne garder que les meilleures, les plus résistantes et durables. « On sélectionne les dix meilleurs épis et on les range dans des sacs différents, par catégorie et variété. À chaque fois, je goûte pour voir si le blé est bon. Là, par exemple, celui-ci est moisi à l’intérieur et à l’extérieur… C’est un travail de longue haleine », explique un bénévole présent à la moisson. Ce travail réclame de la minutie, il est important de ne pas se tromper, car, une fois le blé sélectionné, il est difficile de faire marche arrière.

    Pour l’association, ce projet révèle l’indispensable union entre citoyens, agriculteurs professionnels et boulangers pour faire émerger une filière de semences paysannes et produire une farine locale. « Avec Triticum, on essaye d’imaginer les solutions de demain en agissant pour le bien commun », précise Cécile. Développer des productions autour des métropoles est important dans la résilience alimentaire, comme le rappelle Simon : « Étendre une agriculture nourricière et gérée par les citoyens aux portes de nos villes, c’est nécessaire. Ce projet plaît à la Métropole et on espère qu’il essaimera partout en France. Que ce soit de gré ou de force, il va bien falloir revoir nos approches de la nature, comment on collabore avec elle. »

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