Face aux géants de la production électrique, quelques irréductibles en quête de plus d’indépendance construisent leurs propres parcs éoliens. Visite en Bretagne.
Deux amis, Michel Leclercq et Eric Vaillant, décident en 2002 d’installer une éolienne dans leur jardin. Ils réalisent rapidement qu’il leur sera difficile de mener leur projet à bien tout seul. Inspirés par les modèles belges, danois et allemands, ils envisagent alors la création d’un parc éolien coopératif. « La filière éolienne industrielle venait de démarrer en France, le marché était mûr. Notre objectif était de reprendre en main la maîtrise et la production de l’énergie sur un territoire, ainsi que sa gestion financière, contrairement aux industriels qui installent des éoliennes sans reverser les moindres bénéfices aux locaux. »
Avec une vingtaine de personnes sensibles à la démarche, Michel et Eric créent l’association Éoliennes en Pays de Vilaine (EPV) afin de mettre en place le premier parc éolien coopératif et participatif en France présentant une finalité pédagogique en faveur des économies d’énergie. « Ce second aspect était important pour nous dès le début de l’aventure, se souvient Michel. Nous voulions nous inscrire dans le scénario négaWatt et montrer aux citoyens que le premier pas consistant à réduire la consommation est accessible. »
De l’utopie à la réalité
Pour mener à bien ce projet, l’association s’allie à un développeur. Les bénévoles, qui travaillent sans compter, prennent en charge la maîtrise du foncier et les relations avec les élus et les citoyens, tandis que le développeur se consacre à l’aspect technique (étude de faisabilité).
Après l’échec de deux dépôts de permis de construire, l’association comprend qu’elle devra prendre en charge elle-même la partie technique et financière – ce qui change la nature de l’aventure ! « Le simple dépôt d’un permis de construire coûte 150 000 euros, poursuit Michel Leclercq. Nous avons donc décidé en 2007 de créer une société, Site à Watts. » La force collective prend de l’ampleur. Outre la vingtaine de bénévoles de l’association, des Cigales (clubs d’investisseurs pour une gestion alternative locale de l’économie solidaire, voir Kaizen 4) rejoignent Site à Watts pour soutenir le projet. Au total, 84 citoyens se retrouvent associés. Enfin, le conseil général de Loire-Atlantique intègre lui aussi Site à Watts via sa Société d’économie mixte, dédiée aux énergies renouvelables.
En un mois, 300 000 euros sont réunis : les deux permis de construire peuvent être déposés, l’un à Béganne dans le Morbihan, l’autre à Sévérac et Guenrouët en Loire-Atlantique. Chaque parc est composé de quatre éoliennes de 2 mégawatts chacune. L’exploitation des parcs est confiée à deux sociétés créées à cet effet, la SAS Bégawatts pour le premier et la SAS Isac-Watts pour le second.
Réunir les fonds
Reste le financement de la construction, estimé à 12 millions d’euros pour le parc de Béganne. L’intelligence collective se met de nouveau en marche : avec le soutien de l’Ademe, EPV favorise la création du fond Énergie Partagée (voir hors-série 2) et de son outil financier, Énergie Partagée Investissement. Il permet à des porteurs de projets et à des acteurs territoriaux de réunir les fonds propres nécessaires au lancement opérationnel d’un projet et d’en garder la maîtrise citoyenne. Environ 300 particuliers ont participé au financement du projet via le fond Énergie Partagée.
L’investissement citoyen s’est également matérialisé par la création de 53 clubs locaux d’investisseurs (en majorité des Cigales), représentant plus de 700 particuliers. Résultat : 1000 personnes se reconnaissent dans le projet, 2,3 millions d’euros de fonds propres sont récoltés (le reste sera financé par des emprunts). Les travaux commencent sur le site de Béganne en mai 2013 ; les éoliennes commenceront à produire de l’énergie à partir du deuxième trimestre 2014. Les travaux du parc de Sévérac doivent commencer à l’été 2014.
De la pédagogie positive
Ces dix années peuvent sembler longues… Mais n’est-ce pas le lot de toute première expérience ? Toujours est-il qu’aujourd’hui elles portent leurs fruits ! Ce temps de réunions et de concertations a permis à l’association d’être désormais reconnue comme « référence » sur l’éolien citoyen en France. EPV accompagne ainsi les porteurs de projets similaires et facilite l’essaimage sur d’autres territoires.
L’Ademe et la région Bretagne ont su saisir l’opportunité au vol : « Nous avons ainsi lancé le projet Taranis, qui fédère en Bretagne tous les projets axés sur l’énergie renouvelable portés par les citoyens, argumente le conseiller régional Dominique Ramard. Pour une fois, il y a eu consensus chez les élus devant l’intérêt du projet. Il est séduisant, novateur et redonne une place aux citoyens dans la gestion de la cité, des territoires », conclut l’élu.
Une telle dynamique citoyenne présente un autre avantage : selon Nadège Noisette de l’Ademe, « elle annihile toutes les réticences, fondées ou non, rattachées à l’éolien ». Michel Leclercq confirme : « Aucun comité d’opposition au projet ne s’est manifesté, ce qui est pourtant habituel dans presque tous les projets d’éolien en France. Les réunions formelles ou informelles où nous expliquons notre démarche citoyenne lèvent tous les blocages. »
Ainsi EPV respecte son objectif initial de faire de la pédagogie sur la transition énergique, une démarche qu’elle développe grâce à une animatrice (financée par l’Ademe et le conseil régional) en présentant des outils de sensibilisation à la maîtrise de l’énergie, dans les écoles par exemple. Toujours actif dans EPV, Michel Leclercq constate que la force du collectif fut « d’être porté par un projet pour quelque chose… Pour une fois nous n’étions pas dans la contestation mais dans la proposition, et ça change tout ! »
Pour aller plus loin : www.eolien-citoyen.fr
Texte : Pascal Greboval
Extrait du dossier de Kaizen 11.